Le siècle des tortues

     La Cité est une forteresse réservée aux personnes âgées. Ce sont des raisons sécuritaires qui ont conduit les vieillards les plus fortunés vers les cités privatisées. Les jeunes sont bannis de cet endroit.
La ségrégation générationnelle a certes apporté la sécurité à ses habitants, mais les personnes âgées qui vivent dans la Cité souffrent d’enfermement et d‘isolement. Elles fuient la rencontre d'autres cheveux blanchis, d'autres peaux tavelées, d'autres corps défaillants. Elles fuient leur propre vieillesse.
Les promoteurs de la Cité ont simplement oublié qu’une ville sans jeunesse est une ville de vieux qui ruminent des vieilles idées dans des vieilles bâtisses.




Chapitre 3



Le pavillon est tapissé de vieil or. Il dégage un parfum de remugle, provenant sans doute du mobilier vétuste qui décore l‘entrée. Le parquet grince sous les pas.

- C'est vous Chris? demande une voix chevrotante venue d'une pièce voisine.

- Oui, c'est moi ma douce! Je suis accompagné d'un jeune homme!

- Un jeune homme? s’époumone la voix.

Une femme âgée, sèche, au cou interminablement long, apparaît en reniflant. Elle s’arrête devant Eddy Staff, le dévisage longuement, tandis que son cou s'allonge un peu plus. Le regard globuleux est insistant. Eddy Staff baisse les yeux.

- Un jeune homme....

- Oui Cissy! un jeune homme! répète le vieillard. C'est monsieur... monsieur...

- Eddy Staff!




Il lui tend la main. Elle la prend, la serre entre ses doigts noueux, la palpe, la jauge, la scrute, la détaille.

- Ma femme est très chaleureuse avec nos visiteurs. Nous avons si peu l'occasion de recevoir.

- Quelle tendreté... susurre t-elle.

- Tendresse! rectifie le vieil homme. Il s’avance vers elle, lui caresse la tête délicatement.

- Cissy, ma douce, combien de fois devrai-je vous le répéter?

- Je peux téléphoner? demande Eddy Staff en retirant la main prestement

- Allez-y! Le téléphone est là!

- Où?

- Devant vous!




Il montre un vieux téléphone du siècle passé, portant un cadran rotatif. Eddy Staff l’avait confondu avec un objet de décoration.

- Vous n'avez pas un portable ou un mobile... enfin un téléphone plus moderne?

Les deux vieillards s'observent interloqués.

- Bon... et ça fonctionne ce truc?

Eddy Staff décroche. Il n'a aucune tonalité.

- A vrai dire, Cissy et moi, nous ne sommes point férus de ce genre d'appareil. Et donc nous ne nous en servons jamais. D'autant que nous avons de plus en plus de mal à obtenir les communications.

- Ce n'est pas grave! dit-il observant l'appareil.

Eddy Staff raccroche. De toute façon, il n’a personne à appeler.

- Mais vos vêtements sont trempés! dit la vieille femme remarquant la flaque d’eau sous ses pieds. Il faut vous changer, le temps qu’ils sèchent! Je vais vous apporter...

- Non, laissez, je....

- Vous allez attraper froid. On a si vite fait d’attraper un rhume. D’ailleurs, je sens un courant d’air! s’exclame t-elle en se recroquevillant.

- La porte n'est pas bien fermée ! Cissy craint les courants d'air.

Le vieil homme se précipite sur la porte tandis que la femme ajoute:

- Oui, c'est comme ces tremblements, là, vers le réfrigérateur. Je ne sais pas pourquoi Chris tenait tant a acheter cette crotte d'appareil.

- Oh Cissy! s'offusque le vieil homme.

- Il me glace rien que de le voir.

- Si nous allions plutôt nous réchauffer! dit le vieil homme poussant Eddy Staff vers le séjour.

- Je vais vous apporter un vêtement sec.

- Oui, un vêtement sec. Et Cissy va nous préparer quelque chose. Vous voulez bien Cissy?

- Je ne sais pas si je vais rester... je ne voudrais pas vous déranger....

- Allons, allons !




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