Le Président se détourna de l’ordinateur.
- Il va profiter du taux d’écoute pour balancer son potage ! fulmina t-il en tapotant sur la souris. Est-ce qu’il est localisé?
- Non, pas pour l’instant !
- Monsieur le Président, intervint précipitamment Christian David Rom. Le site Wenjob est l’émanation d’un ancien site créé par Aldy. Ce site a disparu un peu après la mort du professeur et n’a jamais été reconstruit. Deux chercheurs du laboratoire, nommés Staff et Cairne, travaillaient sur un dossier devenu introuvable.
- Quel dossier ?
- Un dossier où il est expliqué comment une puce hybride, mi-humaine, mi-électronique, a été introduite dans les circuits, par le biais d’internet. Pendant des années la créature ainsi conçue a pu se développer avec ses propres ressources. Elle a vécu dans la virtualité, amalgamant une somme de connaissances époustouflante, véhiculées par le Web.
- Qu’est-ce c’est que cette histoire ? De quoi me parlez-vous ? Quelle créature ? marmonna le Président crispé, pivotant vers l’ordinateur.
La voix poursuivait :
- Prendre le temps de vivre et de respirer, diminuer les contraintes, tels sont les objectifs prioritaires du mouvement. Aujourd’hui il n’est plus question de s’intéresser aux besoins de l’être humain, mais à l’être humain lui-même. Durant des décennies, l’entreprise s’est focalisée sur ses besoins et sur la meilleure façon de les satisfaire, ignorant que le désir primordial de l’homme est son bien-être avant tout. La créativité est l’un des piliers de ce bien-être qui nécessite de privilégier l’autonomie, voire l’autarcie, au détriment de l’assistanat sous ses formes les plus viles. Le droit à la créativité est un droit fondamental. Il permet à l’individu de se suffire à lui-même par la vente ou la consommation de ses propres produits.
- Alors, monsieur Rom ! grommela le Président. J’attends ! Continuez !
- Eddy Staff, avatar virtuel, fut le meilleur compagnon de jeu de la créature. Ils ont partagé leur enfance et leur adolescence ensemble dans la Toile. Jusqu’à la disparition inexpliquée du Webworld, l’univers artificiel dans lequel ils évoluaient. Alors, l’hybride a disparu des circuits pendant dix ans. Il est devenu incontrôlable, indécelable. Il y fort à penser, aujourd’hui, que la créature a analysé tous les systèmes internes du réseau, pour les maîtriser pleinement.
- Une créature....
- Oui, une créature.... Si vous préférez monsieur le Président, au fond de la Toile, il y avait une énorme araignée. Une araignée nourrie, gavée par le web.
- Mais où est Jon à la fin ! s’écria le Président avant de revenir vers l’écran.
La voix continuait toujours à parler au milieu d’un enchevêtrement de courbes effarantes.
- L’évolution du secteur tertiaire, l’envolée des techniques nouvelles ont rendu possible l’éclosion d’entreprises humanistes. Le produit est diffusé au niveau local, puis national, puis international le cas échéant. Nous veillons à ce que les échanges ne se fassent que sur des produits inexistants d’un pays à l’autre. Et nous veillons surtout à ce que les produits échangés viennent de structures humanistes. Nous encourageons le développement de micro-structures dans les états pauvres afin d’éviter les flux migratoires et les délocalisations intempestives, d’êtres humains autant que d’entreprises.
- Il ne viendra pas... marmonna le Président s’affaissant sur son bras.
- Monsieur le Président, si vous le permettez...
- Attendez monsieur Rom ! dit-il en l’écartant de la main. J’aimerais savoir où ce type veut en venir.
Et il ajouta, l’œil étrangement amusé :
- Son discours commence à me passionner voyez-vous ! On pourrait même s’entendre sur certains points.
- La créativité, poursuivait la voix, est un élément essentiel dans le progrès d’une civilisation. L’ouverture aux idées nouvelles est permanente. Qu’il représente ou non un groupe, chaque individu a le droit d’exprimer ses points de vue, de les diffuser à la collectivité, sans aucune forme de censure. Il appartient à chacun de juger si les idées sont dangereuses pour une démocratie, et non à un pouvoir d’imposer une idéologie unique. Le débat est constant.
- Je suis sûr qu’il n’est pas fondamentalement mauvais ! murmura le Président avec un ricanement nerveux.
Chapitre 7 (suite)