Le programme avait brutalement disparu de l’écran. Eddy Staff se redressa d’un coup, émit un juron. Il se retrouvait devant une indigeste virginité cathodique qui, d’ordinaire, anéantit un informaticien, car elle signifie la déficience alimentaire de tout ou partie du système et l’impuissance à le restaurer. Pourtant, il s’acharna à activer la fonction de restauration, et poussa un autre juron du même acabit devant les résultats infructueux de ses essais. Il força d’autres commandes, mais aucune ne répondait. Aucune n’entrait. L’ordinateur n’acceptait plus rien.
BOD27 était tourné vers lui. Il le regardait. Il le contemplait l’œil fixe, un sourire imprimé au coin des lèvres, tout en jouant avec ses doigts, les mains tendues vers Eddy Staff maintenant. Il fit un pas en sa direction, observant le mouvement de sa jambe, puis un autre pas moins timide.
La seule solution pour sortir de l’embarras était de redémarrer le système, pensa Eddy Staff, espérant que Cairne eût songé à sauvegarder les éventuelles modifications faites au programme. Il n’avait guère de doute à ce sujet... à moins que Cairne eût un moment d’inattention, ce qui est parfois la tare des spécialistes quels qu’ils soient. Si Cairne avait sauvé le programme, il suffirait d’ouvrir le fichier et le réinstaller.
BOD27 approchait à pas lents les bras légèrement repliés devant lui. Quand il fut tout près, Eddy Staff devina une présence, dans son dos, à l’ombre que BOD27 esquissait au-dessus de son plan de travail.
- Cairne ? dit-il n’osant détacher son attention de l’écran vierge.
Et il ajouta d’un ton un peu confus :
- Excuse-moi, mais je crois que j’ai flingué le programme ! J’essaie de remettre ça d’aplomb ! Je pense que tu l’as sauvegardé !
Il n’eut aucune réponse. Eddy Staff pianotait sur le clavier, absorbé par l’erreur qu’il s’efforçait de réparer. Il préférait éviter le regard réprobateur de Cairne, dont il comprenait le silence. Pourtant, sans doute pour mesurer l’étendue de sa colère qu’il supposait intense, il avait besoin de lui parler, de lui raconter des banalités.
- Alors tu as suivi mon conseil ? Tu as pris un peu l’air ? Où étais-tu passé ?
Derrière lui, BOD27 tapotait ses mains l’une contre l’autre, en observant Eddy Staff.
- Ne t’inquiète pas vieux ! Je vais remettre tout ça en place comme tu l’as laissé. Ni vu, ni connu. Je ne sais pas ce qui s’est passé. A ce moment-là, je n’ai rien touché. J’avais simplement fait une mauvaise manœuvre juste quelques secondes plus tôt, que j’ai rectifiée immédiatement. Mais au moment où ça s’est produit, je t’assure que je n’ai touché à rien. Tu me crois au moins ?
Le silence devenait pesant.
- Réponds-moi Cairne ! Ou je vais finir par croire que tu es fâché contre moi ! ironisa Eddy Staff.
Alors, soudain, tout près de son oreille, une voix douce et distincte murmura :
Bonjour Ed !
Eddy Staff se figea. Il se retourna lentement. Et ouvrit bien grand des yeux effarés.