Consciente que l’efficacité créative était plus souvent le fait de la réflexion horizontale que de l’agitation verticale, l’entreprise humaniste avait la particularité d’allonger les cerveaux dans des hamacs ou sous des cocotiers.
Celle-ci accueillait un nombre de salariés limité, dont elle s’efforçait de préserver le bien-être, gage de motivation et de compétence qui engendrait une production de qualité. Privilégiant l’innovation au rendement, l’entreprise humaniste cherchait sans cesse à améliorer les potentialités individuelles dans un souci de confort collectif. Elle estimait que les salariés, eux-mêmes consommateurs, étaient le meilleur véhicule publicitaire du produit qu’ils fabriquaient.
L’employé effectuait une somme de travaux définie à l’avance, répartissait ses horaires librement, en fonction de sa disponibilité intellectuelle ou de ses impératifs privés. Il disposait d’une salle de détente, où il pouvait se rendre à tous moments, selon ses besoins, pour se ressourcer et augmenter ainsi ses performances.
Chaque salarié avait la possibilité, s’il souhaitait alléger sa tâche, de s’adjoindre le concours d’un assistant, sollicité parmi la population inactive, auquel il transférait une part de sa propre rémunération, lui permettant ainsi d’acquérir une expérience en entreprise ou l’opportunité d'un emploi stable. Jon.W en tant qu’étudiant était ainsi encadré par un senior. Il devait l’écouter et le respecter car le senior avait un salaire très élevé.
L’appât du gain étant dans la nature de l’homme, l’entreprise humaniste trouvait normal qu’il y eût un échelonnement des rémunérations en fonction des compétences et de la créativité de chacun. Le maître-mot était d’ailleurs de récompenser la créativité et l’encourager, de la même façon que la compétence était privilégiée au détriment de l’élitisme.
Jon.W fut d’abord affecté au service de la réorganisation commerciale. Le Webworld avait évolué vers un immense marché où on pouvait trouver toutes sortes de produits. Or peu à peu, les boutiques proposant des produits ou des services similaires s’étaient installées presque côte à côte et s’étaient livrées une concurrence acharnée, tirant sans cesse les prix vers le bas. Voyant leurs intérêts compromis, les boutiquiers avaient songé à se regrouper, à fusionner, à grossir pour résister. A la longue, il y eut des vitrines exclusivement consacrées aux grossistes. Or, les habitants du Webworld, élevés dans le culte de la gratuité et des chemins de traverses, fuyaient les autoroutes qui les tiraillaient vers le consumérisme.
Le service de la réorganisation commerciale avait pour mission de réhabiliter les transactions à caractère artisanal, avant que la Cité ne devint un désert. Aussi, dans l’entreprise humaniste, on livrait des micro-structures clefs en main. Il s’agissait de concevoir des sites attrayants où le visiteurs ne serait ni bousculé, ni harcelé, tout en évitant les méfaits d’une concurrence sauvage.
Les micro-systèmes connurent un succès grandissant.
Jon.W exultait dans ses fonctions. Lui qui avait toujours été fasciné par les bâtisseurs, était à son tour embauché pour bâtir. Or, à cette période de l’adolescence, marquée par les boutons de navigation dont il avait appris à percer tous les secrets, sa créativité avait pris un tournant exacerbé. L’inconnue Lna.Fr occupait une place obsessionnelle dans son esprit, donnait des ailes à son imagination et des formes à son inventivité. A vrai dire, elle était présente partout, insidieusement glissée dans les arrière-plans, les bannières, les filets horizontaux, même discrètement dissimulée sous une puce.