Philippe Degat, journaliste français, avait cessé de prendre des notes. Il observa l’assistance qui suivait, avec un intérêt teinté de voyeurisme, les explications du docteur Dayan. Puis il chuchota discrètement à l’oreille de sa consœur, Héléna Ramos :
- Joli boyau n'est-ce pas ? Un jour j’ai visité une grotte en compagnie d’un guide qui insistait lourdement sur les phallus erectus paléontologiques dessinés sur les parois, par les ancêtres des Gaulois. Et, je ne sais pas pourquoi, ça me rappelait étrangement les graffitis qu’il y avait dans les chiottes de l’école où j’ai connu mes premiers émois de jeunesse.
- Merci Degat, de m’éclairer enfin sur la provenance de l’exceptionnelle vulgarité qui te caractérise! Mais je ne vois pas le rapprochement !
- Tu devrais visiter plus souvent les urinoirs, c’est plein de fantasmes propres à satisfaire tes frustrations cognitives. Et surtout, si ça peut nous éviter ce genre d’exposé sur les corps spongieux et caverneux !
- Tu es mal à l’aise ?
- Mais te rends-tu compte au moins que ça conforte notre belle image de marque dans l’esprit de nos amis étrangers : à savoir que la France est le pays de la baguette et de la braguette ? Honnêtement on aurait pu se passer de ça non ?
- Non !
- Parce que tu seras plus avancée de savoir qu’il l’a plus longue que monsieur Tout-le-monde ?
- ça peut être utile !
- Utile ?
Il se tourna vers elle et écarta des yeux bien ronds.
- Franchement, ne me dis pas que tu as envie de t’envoyer le robot ?
- Excellente suggestion !
- Tu veux rire ?
- Non ! Pourquoi les poupées gonflables seraient-elles l’apanage de la gent mâle !
- Belle conception du métier mademoiselle Ramos !
- Justement, je fais mon métier de journaliste. Il faut bien intéresser les femmes aux vertus de l’informatique, non ?
- C’est vrai ! Les femmes ont toujours eu du mal à s’enflammer pour les octets et les bits. Et dieu sait pourtant si elles ont du doigté dans ce domaine !
Sur l’estrade, l’orateur s’était tu. Philippe Degat songea que sa discussion en aparté avec Héléna Ramos était à l’origine de ce brusque silence. Le siège grinça. Des visages réprobateurs se tournèrent vers eux. Il leva la tête, se racla la gorge et feignit de suivre l’exposé avec un peu plus d’attention.
- C’est au niveau du gland que se trouve le méat urinaire, ou orifice externe de l’urètre, par lequel jailliront l’urine et le sperme. Le sperme produit par BOD27 est issu bien sûr des banques de spermes car BOD27 n’a malheureusement pas la possibilité d’en produire lui-même. Du moins pour l’instant. Évidemment, nous l’avons doté de zones érogènes artificielles tout autour du pénis, à l’instar des humains. Petite précision mesdames, BOD27 peut faire l’amour indéfiniment. Ou à la convenance de sa partenaire si celle-ci est rapidement satisfaite.
- Passionnant ! murmura Héléna Ramos.
- BOD27 aura les mêmes besoins en sommeil qu’un individu ordinaire, sauf s’il ressent des impératifs d’un autre ordre chez la personne dont il est le compagnon.
- S’il ressent ? demanda Huck Gen. Vous insinuez que ce robot sera capable de ressentir, d’avoir des émotions ?
- Oui ! intervint Eddy Staff qui grimpa sur l’estrade. BOD27 répond à des commandes vocales. Mais notre objectif est qu’il puisse exprimer des émotions.
- Vous voulez dire manifester des émotions physiquement ? Par exemple en riant, en grimaçant...
- Pas seulement monsieur Degat ! BOD27 pourra également être troublé, bouleversé, excité. S’il n’aura jamais de véritables sensations physiques, il pourra par contre éprouver de véritables émotions. Le projet est en cours.
- C’est un projet au stade d’ébauche. Une utopie en somme.
- Absolument pas monsieur Degat ! Nous allons prochainement implanter les fonctions émotionnelles.
- Implanter ? interrogea une journaliste nipponne. A partir de quoi ?
- Excusez-moi de ne pouvoir vous fournir plus d’informations à ce sujet. Cet élément est pour l’instant tenu secret ! Mais je peux vous garantir que dans les semaines à venir, voire dans les jours à venir, BOD27 sera fonctionnel, totalement fonctionnel.
Tout à coup, une sonnerie d’alarme retentit dans le laboratoire, comme c’était l’usage lorsqu’un site internet atteignait un nombre inhabituel de visiteurs.