Quand il rentra chez lui, entre les interminables bras de ses parents privilégiés, Jon.W osa leur demander la signification du mot spécial.
En guise de réponse, ils posèrent devant lui une mécanique étrange, qui se tenait à quatre pattes et remuait horizontalement un tube à hauteur du dos.
- Tu vois, lui aussi il est spécial !
C’était la première fois que Jon.W voyait un chien, un vrai chien, en fer et en vis, capable d’affection, d’une indéfectible affection. Le chien abandonna l’os qu’il couvait entre ses crocs en grognant, courut vers lui d’un pas saccadé et, après un véritable effort humain, il lui souleva le bras avec le museau, en quête d’une caresse.
Jon.W s’en éloigna avec méfiance, ce qui obligea le chien à un nouvel effort pour le rejoindre. Pendant ce temps, ses parents privilégiés ne tarissaient pas d’éloges à propos de leur acquisition, pensant que les deux compagnons faisaient connaissance. Ils trouvaient le chien magnifique et amusant. Inclinant la tête à droite, puis à gauche, en souriant, ils semblaient heureux de l’avoir offert à Jon.W. Celui-ci se demandait pourquoi on l’avait gratifié de cet encombrant cadeau, ignorant que c’est souvent avec de tels leurres que beaucoup de parents se débarrassent de leurs tortueux dilemmes. Jon.W s’en éloigna de nouveau, obligeant le chien à un nouvel effort, et il en fut ainsi jusqu’à ce que le chien s’épuisât, écartât les jambes pour s’effondrer lamentablement.
Jon.W entendit ses parents murmurer d’un ton grave :
- On avait pourtant commandé un lévrier, pas un basset !
Jon.W regarda la bête avachie sur le sol. Les yeux ne clignotaient plus et le tube, vissé sur le bas du dos, avait cessé de remuer horizontalement. Soudain, il vit les deux créatures gigantesques se pencher vers lui et demander :
- Quel nom voudrais-tu lui donner ?
Il fallait donner un nom à la bête ? Il ignorait bien entendu quel nom lui donner. Mais finalement cela n’eut aucune importance car ses parents privilégiés avaient coutume de résoudre les problèmes sans son aide.
Après un long moment de réflexion, où les propositions fusaient à voix hautes, il lui annoncèrent fièrement que le chien s’appellerait Wouaf sans extension. Bien entendu, ils guettèrent son assentiment émerveillé. Jon.W leva les yeux vers ses gigantesques parents privilégiés et leur dit :
- Qu’est-ce que ça veut dire spécial ?
Il recueillit le silence de l’un, l’agacement de l’autre et finalement une petite phrase généralement donnée en pâture aux enfants trop curieux :
- Tu comprendras quand tu seras grand !
Alors, il observa ses parents privilégiés du bas jusqu’en haut, dans toute leur énormité, puis il s’enfuit en courant, loin de la demeure.