Cairne et le Grand Secret


Chapitre 2 (suite)



Cairne serra les bras encore plus fort.

- Je sens que vous avez besoin de mes services, monsieur Cairne! dit la Voix. Et elle ajouta en ricanant :

- Ce qui n’a rien d’étonnant pour un secret. Ha! Ha! Ha!... Services secrets...

- Un secret?

- Oui! Je suis le Grand Secret!

La tonalité de la Voix se stabilisait, chassant les distorsions.

- Le Grand Secret?

- Votre secret, monsieur Cairne! Celui que vous gardez au plus profond de vous et que vous nourrissez quotidiennement de pensées secrètes. Tiens, d’ailleurs la dernière était bien bonne: la joie que vous avez cachée à vos parents quand ils vous ont offert cet attaché-case que vous attendiez tellement. Mmm... je me suis régalé. Bien mieux que tous ces sentiments ....secrets, ardemment brûlés pour mademoiselle Noémie....

Cairne se frotta les paupières. Sans aucun doute, il était en train de rêver. Il était dans un état second, dans un Ailleurs inexplicable, une autre dimension. Mais qui pouvait bien connaître ses sentiments pour Noémie, la secrétaire affectée aux relations publiques, chargée de servir le café lors des réunions au sommet. Ses courbes faisaient l'objet de moults sous-entendus. Comme beaucoup, il avait fini par faire une fixation sur ces courbes quand les courbes statistiques affichées au tableau l'ennuyaient à mourir. Dans l'univers clos du laboratoire, où les chercheurs cherchaient parfois jour et nuit, il fallait bien se distraire, rêver, espérer. Et lui, comme tant d'autres, espérait la villa, les cocotiers et les courbes de Noémie, généreusement offertes près de la piscine. C'était d'ailleurs la raison pour laquelle il travaillait si dur sur le projet. Mais il l'espérait secrètement, sans jamais trahir le masque de conscience professionnel qui était sien. Cairne avait toujours été discret sur le plan personnel. Oh bien sûr, il lui semblait entendre jaser derrière la machine à café et il surprenait des sourires ou des silences qui en disaient long. Mais c'était l'oeuvre de quelques commères sans doute un peu jalouses. Les femmes entre elles sont assassines.

Un secret. Un secret qui parle... Tout ceci était absurde et grotesque.

Cairne scruta encore autour de lui, le dôme arrondi et le sol plat qui tressautaient chaque fois que son interlocuteur invisible prenait la parole.

- Qu’est-ce que je fais ici? murmura t-il secrètement.

- Vous vous êtes mis dans le secret! rétorqua la Voix.

Il sursauta, étonné d’avoir été entendu.

- Vous êtes tombé dans le secret si vous préférez!

- Je suis tombé dans le secret?

Il secoua la tête en souriant.

- Rassurez-vous monsieur Cairne! Il vaut mieux tomber dans le secret que dans l’oubli ! Dans l’oubli, on n’a aucune chance de revenir.

Cette fois Cairne se mit franchement à rire avant de lancer:

- Et dans le secret, cette possibilité existe?

- Ceci dépend de vous, monsieur Cairne!

- Et comment fait-on pour sortir d’ici? demanda t-il sur le ton de la plaisanterie.

- Je pourrais vous dire que c’est une formule dont vous seul avez le secret! Mais je ne serai pas méchant. Il existe effectivement un moyen d’en sortir.

- Je brûle d’impatience de le connaître.

- Eh bien, il suffit de percer le secret.

- De percer le secret?

- Oui!

- Je n’ai rien pour le percer! s'amusa Cairne.

Il examina ses poches, les retourna carrément.

- Tenez, vérifiez vous-même!

- Vous avez peut-être quelqu’un!

- Vous voyez bien que je suis seul ici!

- Assurément!

La Voix se mit à rire bruyamment.

- Ha! Ha! Ha! Je suis gonflé me direz-vous... mais est-ce ma faute? Vous vous êtes mis tout seul dans cette situation.

- Je rêve ou je deviens fou... murmura Cairne en aparté.

- Ouvrez donc le tiroir au lieu de gémir!

- Quel tiroir?

- Le tiroir secret pardi!

- Mais où est-il?

- Ah ça, monsieur Cairne, vous m’en demandez trop. Je ne suis pas dans le secret des dieux. Explorez, visitez, cherchez la clef!

- Quelle clef?

- La clef invisible!

- Si elle est invisible comment voulez-vous que je la trouve?

- Vous vous trouvez bien des raisons!

Cairne se prit la tête entre les mains. Il commençait à en avoir assez de ce rêve complètement idiot. Il savait qu'il n'existait d'autre façon de sortir d'un mauvais rêve que d'en attendre la fin. Mais jamais cauchemar ne lui avait paru aussi long. Depuis qu'il avait senti ce parfum, l'idée de la mort, qui l'avait initialement effleuré, avait disparu. Il s'était dit qu'il était peut-être évanoui. Ou au pire dans le coma. Ces états d'inconscience ne sont que temporaires. Il allait se réveiller à un moment donné. Pourquoi était-il si impatient? Cairne n'avait jamais été bien patient..

Il s’achemina vers la paroi lisse, frappa des poings contre le dôme, chercha une issue.


 



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