Cairne et le Grand Secret


Chapitre 1



Un sein. Un sein est-il aussi molletonné à l'intérieur qu'à l'extérieur? Est-il aussi lisse aussi souple, aussi moelleux, aussi velouté, aussi désirable? Ah s'enfermer dans les rondeurs satinées d'un sein. Et y rester. Protégé par une bulle de coton. Sein maternel. Sein nourricier. Et tous les autres seins. Qu'il était bon de se fondre dans la soie de cette chair. Y plonger voluptueusement le visage. Et ne plus en sortir.

Depuis combien de temps n'avait-il pas touché, palpé, caressé un sein?

Fallait-il être mort pour ressentir un tel bonheur?

Mais au fait, était-il vraiment mort?

Cairne essaya de se remémorer la scène précédente, avant qu'il ne fût broyé par le sublime parfum qui émanait du soutien-gorge.

Voyons. Il sortait du labo et marchait dans la rue d'un pas pressé, l'esprit préoccupé par le fameux dossier qu'il serrait contre son thorax. Quelque chose clochait dans ce dossier et il fallait impérativement qu'il en discute avec Staff. Mais où était-il? Dans quel bar avait-il bien pu se nicher? Staff lui cachait sans doute des éléments essentiels. D'ailleurs, pourquoi lui conseillait-il d'être méfiant? Voilà des lustres qu'ils travaillaient ensemble sur le projet et maintenant qu'ils allaient enfin atteindre le but, Staff se dégonflait, laissait filer la gloire, le Nobel et les crédits indispensables à la poursuite du programme. Tout ça n'était pas très clair.

Alors qu’il traversait la rue, Cairne avait perçu un long crissement. Il eut juste le temps d'entrevoir l’énorme gueule du camion qui l'avait happé sur la gauche. Il fut soulevé brutalement et propulsé en direction du mur. Le mur fonçait droit sur lui. Il le voyait arriver, prêt à l'aplatir. Curieusement, à cet instant précis, au lieu d'écarter les bras pour se protéger, il s'était cramponné au précieux dossier. Cairne s'attendait à un choc violent. Un choc imparable. Il l'attendait avec fatalisme et désinvolture. Que pouvait-il faire d'autre d'ailleurs? Sinon attendre. Dans l'interminable fraction de seconde qui le rapprocha du mur, il se souvint qu'il s'était émerveillé de voler. Et cette impression fugace de voltiger dans les airs l'avait profondément enthousiasmé.

Quand le choc s'était produit, contrairement à ses attentes, il n'y avait eu aucune brutalité. Et, bizarrement, il était retombé sur un sol mou, accueillant, confortable.

Cairne avait heurté le doux parfum d'une poitrine, une poitrine de femme, qui montait et descendait, le long de sa joue, au rythme de sa propre respiration.

Maintenant, il ne distinguait plus rien, mais il percevait des sons, un brouhaha confus. Il eut beau ouvrir les yeux bien grands, il ne voyait rien. Il essaya de bouger. Il ne sentait plus son corps. Son corps était de bois. Écrasé par un sein. Pourquoi baignait-il dans le noir? Était-il vraiment mort? Puis soudain une vague lueur perça et il découvrit avec étonnement qu'il était accroupi sous un dôme. Un dôme immense, d'abord sombre, puis rouge, puis rose, sous lequel il se retrouvait minuscule. Il se sentait à la fois perdu, et dans un grand bien-être en son sein.

Cairne se leva, voulut marcher, put marcher, mais le sol s'enfonçait sous ses pas. Il rebondissait. Il se vit sautiller, voler de nouveau, les bras écartés, le corps serein, dans un bien-être absolu. Mais au bout d’un moment, il perdit l’équilibre, tomba, se retrouva allongé sur la surface feutrée qui constituait le plancher du dôme.

- Où est-ce que je suis?

L'autre côté de la mort avait ses charmes et pourtant elle générait des angoisses.

Il se redressa et voulut marcher jusqu’à une fenêtre en forme de hublot, une espèce de petite lucarne circulaire encastrée dans le dôme qui se prolongeait vers l'extérieur, avec une forme de tétine. Ses pas creusaient de larges cavités comme s'il se fût déplacé sur un ballon mou.

Il chancela, tomba et se mit à rire, car il ne s’était même pas égratigné.

- Je rêve.... Oui, je rêve....

A proximité du hublot, il dut se hisser à l’aide des bras car il était trop petit pour voir au travers. Il essaya plusieurs fois de prendre son élan, de sauter et de grimper, mais la paroi rose et lisse le renvoyait sans cesse vers le sol.

Cairne allait pourtant l'atteindre quand soudain il entendit une voix :

- J’ai faim!

C’était une énorme voix, une voix de caverne, qui se terminait par un petit cri aigu. Une voix qui fit trembler tout le dôme et le renversa sous l'effet des vibrations.

- Il y a quelqu’un? demanda Cairne très impressionné.

Personne ne répondit. Il guetta de tous cotés, cherchant d'où venait la Voix.

- Qui êtes-vous?

Autour de lui, il n'y avait rien, ni personne. Il mit ses mains en porte-voix.

- Répondez-moi!

Le plafond arrondi était nu et le sol continuait à s’enfoncer sous son poids. Au bout d’un moment, le dôme cessa de frémir. Cairne tourna sur lui-même, les yeux levés vers le plafond.

- Montrez-vous, bon sang!

- J’ai faim ! reprit la Voix qui, une nouvelle fois, le jeta au sol sous l’effet des vibrations.

- Mais qui êtes-vous? Vous ne m’impressionnez pas vous savez ! se fâcha t-il naïvement.

Tout à coup le dôme se mit à enfler, l'éloignant un peu plus du plafond. Il avait rétréci. Considérablement rétréci. Il perçut un soupir, un long soupir, comme un soupir de soulagement.

- Merci monsieur Cairne! dit la Voix. Et elle ajouta, montant dans les aigus:

- Il était vraiment bon celui-là!

Cairne tournait sur lui-même, guettant désespérément d’où venait cette Voix.

- De quoi parlez-vous? Et d’abord, vous savez mon nom?

- Évidemment!

- Si vous me connaissez, alors moi aussi je vous connais! dit-il comme pour se rassurer.

- Bien sûr que vous me connaissez, monsieur Cairne!

- Mais qui êtes-vous? Montrez-vous!

- Qui je suis?

Il y eut un gros rire qui secoua le dôme et le fit rebondir.

- Ha! Ha! Ha ! Allons monsieur Cairne, c’est vous qui me tenez! Et c'est vous qui me gardez!

- Je vous garde?

- Mais oui vous me gardez! Depuis belle lurette d’ailleurs!

- Dites-moi qui vous êtes à la fin!

- Que pouvez-vous bien garder?

Cairne replia les bras contre son corps. Le dossier....

 



Chapitres